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Un clic, déclic pour l'Afrique

Des vérités historiques, sociales, économiques pour l'Afrique Noire Francophone. Des interrogations sur le passé, le présent et l'avenir de l'Afrique, colonisation, esclavagisme. Des observations, des analyses, le rôle des européens, les repentances, la victimisation.

LES CONFLITS POSTÉLECTORAUX EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Publié le 29 Octobre 2015 par Lu Nienne Diallo

LES CONFLITS POSTÉLECTORAUX EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Résumé :

Très fréquemment, lorsque les journalistes rendent compte d’un conflit postélectoral en Afrique subsaharienne, les explications qu’ils proposent s’appuient sur les différences ethniques ou religieuses des populations impliquées dans ce conflit. Ce faisant, ils passent bien souvent sous silence les sources réelles du conflit.
Se basant sur les récents cas du Nigeria et de la Côte d’Ivoire, cet article poursuit deux buts. Tout d’abord, il souhaite mettre en évidence les éléments qui sont généralement à l’origine des conflits postélectoraux en Afrique subsaharienne. Dans un second temps, il vise à présenter certaines hypothèses qui peuvent expliquer pourquoi les journalistes privilégient souvent une explication des conflits basée sur l’identité des protagonistes plutôt qu’une présentation des enjeux qui sous-tendent les hostilités.

Texte Intégral :

Un an après leur occurrence et, gardant à l’esprit les événements qui ont endeuillé le Nigéria fin 2011 et début 2012, revenons sur les conflits postélectoraux en Côte d’Ivoire et au Nigéria.
Deux exemples, parmi d’autres, qui permettent de mieux comprendre les soubassements des irruptions de violence en Afrique subsaharienne avant, pendant et après des élections.

1) LES VIOLENCES CONSÉCUTIVES AUX ÉLECTIONS IVOIRIENNES ET NIGÉRIANES EN 2011 : DES EXPLICATIONS BASÉES SUR LES ETHNIES ET LES CULTURES DIFFÉRENTES DES PROTAGONISTES

Début avril 2011, à peine avait-on annoncé la capture de Laurent Gbagbo, dont la chute semblait contenir la promesse d’une prochaine cessation des hostilités en Côte d’Ivoire, que des violences consécutives aux élections présidentielles nous étaient signalées au Nigéria. De plus, toujours pour ce qui concerne le Nigéria, on attendait avec passablement de craintes la prochaine élection des gouverneurs au niveau de vingt-quatre des Etats que comporte le Nigéria. Une nouvelle flambée de violence était à craindre.
S’agissant de la Côte d’Ivoire, la contestation du résultat des élections présidentielles (octobre 2010) avait été mise en relation avec des tensions qui opposent le Nord au Sud du pays, Gbagbo étant considéré comme un représentant du Sud et Ouattara un porte-parole du Nord. Les Ivoiriens étant issus de différents groupes ethniques dont certains sont originaires du Nord du pays et d’autres du Sud, le Nord étant majoritairement musulman et le sud chrétien, on a eu tôt fait de mettre en lien les violences évoquées avec le fait que la Côte d’Ivoire est composée de groupes humains avec des cultures différentes voire des religions différentes. Un journal français évoquait d’ailleurs, relatant la problématique ivoirienne actuelle, des conflits ethniques « à leur apogée ».
Même cas de figure au Nigéria, où les explications relatives aux violences du mois d’avril 2011 étaient avant tout mises en lien avec un conflit opposant des religions différentes et des ethnies différentes, certains journalistes prenant néanmoins la peine de parler de l’indigénéité. Le concept est utilisé au Nigéria et ses multiples effets pervers (manque d’accès aux postes de fonctionnaires d’état, aux études universitaires, etc.) touchent les Nigérians qui n’habitent pas le lieu d’origine de leur ethnie d’appartenance.
Hormis quelques cas marginaux d’articles qui évoquent alors quelques-uns des éléments à l’origine de tensions entre certains groupes sociaux (ethniques ou religieux), bon nombre d’entre eux tiennent un discours dans lequel l’identité ethnique ou religieuse est extrêmement chargée. A tel point que ces écrits laissent supposer que, s’agissant des groupements humains d’Afrique, cet aspect de leur identité a une importance telle qu’elle exclut le fait d’envisager d’être représenté ou dirigé par un individu qui n’appartient pas à ce groupe. Une réaction quasi épidermique à l’altérité en somme.

2) LES RACINES RÉELLES DES CONFLITS POSTÉLECTORAUX EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Cependant, bien que les explications données soient centrées sur l’identité ethnique ou religieuse des habitants de pays connaissant des violences, c’est ailleurs qu’est la véritable source du problème.
En effet, si l’on tient compte du fait que, dans le cas de la Côte d’Ivoire comme dans celui du Nigéria, le simple citoyen n’a que de très faibles ressources disponibles et qu’il fait face à une forte concurrence pour tenter d’avoir accès à des postes de fonctionnaires ou à une formation, on peut dès lors comprendre les tensions qui peuvent naître de cette intense compétition. Sans compter que s’ajoutent à cela, assez fréquemment, des problèmes fonciers passés (ou actuels), qui tendent encore un peu plus les relations entre certains groupes.

2.1 LES DIFFÉRENTS GROUPES SOCIAUX FACE AUX RESSOURCES LIMITÉES DE L’ETAT

De fait, il s’agit bien ici de passer de l’individu au groupe, puisque le groupe est désormais directement concerné. Comme l’ont très clairement compris les citoyens de ces deux pays, la probabilité d’avoir accès à une partie des ressources allouées par l’Etat (en recevant une bourse d’études par exemple) est plus grande si l’on prétend à certains « liens » avec le président ou certains élus, en partageant avec l’un ou l’autre la même origine ethnique ou la même région d’origine par exemple. Dans le cas du Nigéria, il s’agira également d’habiter au bon endroit : une nécessité liée à ce concept d’indigénéité que nous mentionnions plus haut.
Dès lors, pour accéder aux ressources de l’Etat, appartenir à un groupe social qui partage la même origine ethnique ou religieuse qu’un nouvel élu est considéré comme une opportunité. A contrario, le fait d’appartenir à un groupe ethnique ou religieux différent de celui de l’élu est considéré comme un manque de chance puisque des opportunités disparaissent. On comprend alors pourquoi l’élection du candidat est sujette à controverse dans de nombreux pays africains, puisqu’ils connaissent souvent le même fonctionnement interne.

2.2 LES CANDIDATS AUX ÉLECTIONS

Après avoir observé les simples citoyens, attardons-nous sur les candidats à une élection.
S’il s’agit d’accéder à un poste de président (ou de gouverneur comme dans le cas du Nigéria), la concurrence est rude dès lors que le poste, outre le prestige qu’il confère, permet également d’avoir accès aux ressources financières de l’Etat. Les hauts taux de corruption qu’a connus le Nigéria, mais également l’enrichissement illégitime de Gbagbo et de son entourage au cours de ses quelques années de présidence sont là pour en témoigner : l’accès à des postes importants va souvent de paire avec le fait de puiser dans les ressources de l’Etat. Or, perdre son poste revient à perdre également cet accès privilégié aux ressources : une alternative encore très souvent inenvisageable pour de nombreux élus.
Face à ce risque, et d’autant plus si leur comportement indélicat est connu, certains seront prêts à tout pour conserver leur poste, y compris à dresser une partie de la population contre une autre : celle soupçonnée d’apporter son soutien à un concurrent. Pour ce faire, les élus vont tenir des discours dans lesquels certains groupes ethniques, nationaux, seront présentés comme une menace pour le restant de la population. C’est ainsi qu’en date du 25 février 2011, on a pu entendre l’un des « lieutenants » de Gbagbo, Charles Blé Goudé, par ailleurs Ministre de la jeunesse, de la formation professionnelle et de l’emploi, appeler les « vrais » Ivoiriens à placer des barrages sur les routes et à dénoncer les « étrangers ». Outre la violence contenue dans cette invitation ministérielle, il s’agit aussi de prendre conscience du fait que par le terme « d’étrangers » sont désignés aussi bien les ressortissants étrangers habitant la Côte d’Ivoire, que les Ivoiriens issus de groupes ethniques du Nord du pays. Cette stigmatisation des « étrangers » n’a, en soi, rien de surprenant. Les Ivoiriens du Nord du pays ont en majorité apporté leur soutien à un candidat du Nord : Alassane Dramane Ouattara. Quant aux véritables étrangers, il leur a été reproché d’être les citoyens de pays qui voulaient la chute de Gbagbo.
Toutefois, qu’ils soient réellement étrangers ou seulement présentés comme tels par certains membres de l’entourage de Gbagbo, les membres des groupes ethniques du Nord et les étrangers ont été victimes d’une grande violence de la part des miliciens pro-Gbagbo et des forces de sécurité pendant ces mois qui ont précédé et suivi l’élection présidentielle de 2011.
En cette même année 2011, la situation est, certes, différente au Nigéria, puisque la volonté d’activer les tensions entre les groupes ethniques ou religieux n’est pas présente. Toutefois, l’élection présidentielle, au cours de laquelle le président chrétien du sud du pays Jonathan Goodluck a été élu, a exacerbé les tensions entre les groupes (surtout dans le Nord du pays) en raison des enjeux économiques liés à cette élection.

2.3 L’ACCÈS AUX RESSOURCES DE L’ETAT : L’ÉLÉMENT CENTRAL DES CONFLITS POSTÉLECTORAUX

Au final, si l’on tient compte de l’ensemble des éléments recueillis, reconnaissons qu’il n’est pas pertinent de ne voir qu’une problématique ethnique ou religieuse dans les conflits ayant cours en Afrique subsaharienne. C’est un raccourci qui ne rend pas compte du fondement réel des tensions que connaissent certains groupes humains.
Comme nous l’avons vu, l’accès aux ressources distribuées par l’Etat est l’une d’entre elles. Les citoyens d’un même pays n’ayant pas nécessairement les mêmes chances de pouvoir bénéficier du soutien de l’Etat, des tensions se créeront entre eux. Par ailleurs, dans le cadre de la Côte d’Ivoire (comme ce fut d’ailleurs aussi le cas dans d’autres pays africains), nous avons constaté qu’un élu désireux de conserver son poste est parfois prêt à envisager des choix extrêmes pour obtenir le soutien d’une partie de ses concitoyens. L’un de ces choix pourra être de dresser les habitants du pays les uns contre les autres, sur la base de leur origine ethnique ou religieuse, afin de légitimer le recourt à la violence contre ses détracteurs. Une tension existant déjà souvent entre les groupes ethniques en raison de la compétition qui existe pour accéder aux ressources de l’Etat, le projet d’un élu – ou d’un leader - peu scrupuleux a donc bien des chances d’aboutir…
Aujourd’hui, les violences à grandes échelles associées aux élections de 2011 semblent s’être calmées dans les deux pays considérés.
Toutefois, les élections législatives partielles ivoiriennes du 26 février 2012 ont généré des attaques violentes contre l’Onucii et un bureau de la CEIii à Bonon, 400 km à l’Ouest d’Abidjan.
Et au Nigéria, le mouvement terroriste Boko Haram, né en 2002, poursuit l’exercice de la violence dans le pays, appuyé par des citoyens sensibilisés à un discours dans lequel les chrétiens sont vivement incités à quitter le Nord du pays, majoritairement musulman. Sans surprise, les chrétiens répondent à ces violences par des mouvements de protestation et des représailles. D’ailleurs, le spectre de la guerre civile refait surface. Cependant, ne nous y trompons pas ; l’attrait que présente le mouvement pour une partie des Nigériens musulmans a bien plus sûrement comme soubassement les inégalités économiques avec leurs concitoyens chrétiens que leurs orientations religieuses.

3) UNE EXPOSITION DES CONFLITS BASÉE GÉNÉRALEMENT SUR L’IDENTITÉ RELIGIEUSE OU ETHNIQUE DES BELLIGÉRANTS : QUELQUES HYPOTHÈSES POUR COMPRENDRE CETTE ATTITUDE

Comme le révèlent les chapitres précédents, une explication des conflits postélectoraux peut être donnée sur la base des antagonismes nés autour des ressources disponibles. Reste à comprendre pourquoi, de façon quasi systématique lorsqu’un conflit survient en Afrique subsaharienne, les commentaires se fondent sur l’identité (ethnique ou religieuse) plutôt que sur la « simple » présentation des réels enjeux sous-tendant la problématique.
Plusieurs interprétations peuvent être envisagées. La première met en lien ce type d’explications avec le fait que leurs auteurs, pressés par le temps, usent de raccourcis pour décrire des situations socio-politico-économiques complexes. Ainsi, déclarer que les musulmans du nord du Nigeria ont éprouvé un sentiment de colère lorsque l’élection présidentielle a été gagnée par Goodluck, un chrétien du sud du pays, est une façon beaucoup plus rapide d’énoncer les faits que de signaler que les richesses sont inégalement réparties entre le Nord et le Sud du pays. C’est ne pas tenir compte du fait que les habitants du nord du pays sont majoritairement musulmans et qu’ils habitent une région économiquement moins privilégiée que la région du sud du Nigeria ; c’est oublier qu’un Nigérian a plus de chance de profiter de retombées économiques favorables si le candidat élu à la présidence est de même origine ou partage la même religion que lui.
Une autre hypothèse doit cependant être avancée sur le pourquoi des interprétations relatives à un conflit postélectoral ayant cours en Afrique subsaharienne se basant très fréquemment sur l’identité des protagonistes. Elle s’appuie sur l’importance que revêt l’image des habitants de la région concernée dans le monde occidental. Une image qui a peu évolué avec le temps et qui fait la part belle à l’identité des individus en présence, qu’il s’agisse de leur identité ethnique ou religieuse.
Pour reprendre les propos d’A. Rivera (2000)iii, le terme « ethnie » fait allusion à « tout ce qui est assimilé au « tribal », à la prééminence des liens de sang, à l’originel, l’ancestral, au spontané ». Or, ce concept d’ethnie ne fait en réalité que reconnaître l’existence d’un groupe particulier d’individus qui, grosso modo, se distingue des autres groupes non seulement en raison d’une langue, de coutumes et de valeurs communes, mais également en fonction d’un espace et d’ancêtres communs, de même que par le sentiment d’appartenir à une même collectivité.
Toutefois, comme le fait déjà remarquer Guillaumin en 1972, le concept d’ethnie a probablement eu le succès qu’on lui connaît car « il permet d’éviter le malaise que suscite la connotation biologique du mot race, ce qui ne l’empêche nullement de charrier implicitement les mêmes significations »iv. Autrement dit, mettre l’accent sur l’identité ethnique (ou sur l’identité religieuse) des protagonistes dans le cadre de conflits africains, c’est mettre dans cette identité la source même de la violence, le cœur de la problématique. Or, cette explication qui prétend tout résoudre à la fois n’éclaire en rien la situation de conflit. Mais elle laisse entendre qu’en Afrique subsaharienne, le simple fait d’appartenir à des ethnies différentes peut être, en soi, la raison d’un conflit.

4) CONCLUSION

C’est finalement sur un constat plutôt déroutant que prend fin notre réflexion sur les conflits postélectoraux en Afrique subsaharienne. L’essence des conflits est connue - ou du moins accessible à une investigation -, mais elle est bien souvent écartée au profit d’explications journalistiques basées sur l’identité des protagonistes. Certainement en bonne partie pour une question de temps, mais également en raison de l’image des habitants de l’Afrique subsaharienne véhiculée dans le monde occidental.
L’image des Africains dans le monde journalistique occidental mérite bien évidemment à elle seule de faire l’objet d’une plus longue réflexion. Gageons cependant que celle-ci sera très éloignée de la problématique du partage inéquitable des ressources en Afrique.

1er Mars 2012 Catherine Ukelo
Cahiers de psychologie politique

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